
Les cimetières marocains sont remplis des victimes d’accidents sur les chantiers de construction. Malgré la réticence des entrepreneurs à mieux gérer la sécurité de leurs entreprises, un virage est cependant amorcé. Bachir Baddou, Directeur Général de la Fédération Marocaine des Sociétés d’Assurances et de Réassurances, nous parle du contrat programme et de ses implications sur le secteur du BTP.
Quelles sont les parties associées au contrat programme ?
B.B : Le contrat programme est conclu entre la Fédération et 9 Ministères qui concernent de plus ou moins près notre secteur :
• Ministère des Finances (Direction des Assurances et de la Prévoyance Sociale)
• Ministère de la Santé (Assurance maladie)
• Ministère de l’Habitat (Assurance construction et de type multirisques habitation)
• Ministère de l’intérieur (Contrôle de la réalisation effective des obligations d’assurance, couverture obligatoire des espaces qui reçoivent du public, rôle de la Police et de la Gendarmerie suite aux accidents de la circulation. A cet égard, des moyens sont à trouver pour automatiser la remontée de l’information sous forme électronique).
• Ministère du Commerce, de l’Industrie et des Nouvelles Technologies, et Ministère de l’Equipement (investissement des entreprises d’assurance dans le tissu économique marocain. Il s’agit de voir comment canaliser l’épargne que drainent les compagnies vers certains secteurs jugés prioritaires par le gouvernement dans le Pacte pour l’émergence industrielle comme dans le développement touristique.)
• Ministère de l’Emploi (notamment la problématique des accidents du travail).
n Aucun autre contrat programme n’implique autant de Ministères ?
B.B : Le secteur de l’assurance est un secteur très transversal. Il y a les questions d’ordre fiscal qui concernent les souscripteurs des contrats d’assurance, et celles qui concernent les entreprises d’assurances. il y a des questions liées à l’obligation d’assurance, d’autres qui relèvent de la santé. Il y a aussi toute la fonction, peu connue du grand public, des « investisseurs institutionnels ». Le secteur de l’assurance investit plus de 110 milliards de Dhs dans l’économie marocaine. Les assureurs sont les premiers souscripteurs des emprunts d’Etat, et les premiers investisseurs dans la Bourse de Casablanca. Mais il y a également l’immobilier et d’autres véhicules de placement.
n Depuis quand ce contrat programme est-il d’application ?
B.B : Le contrat programme a été signé en mai 2011. C’est le premier contrat programme du genre et on a cinq ans pour le déployer. Il est très lourd et important. Beaucoup de mesure ont déjà été mises en oeuvre.
n Quelle est la part du BTP dans le contrat ?
B.B : La part du BTP comprend trois garanties essentielles et obligatoires.
La première est la Responsabilité Civile Habitation. Pour un propriétaire ou pour un locataire, il est impensable aujourd’hui qu’il n’ait pas l’obligation de souscrire à une garantie Responsabilité Civile pour protéger le voisinage des dégâts qui peuvent lui être causé. Avec le Ministère de l’Habitat, cette garantie a été jugée comme la 1ere priorité.
La deuxième garantie, c’est la Tous Risques Chantier. Elle concerne les dommages à l’ouvrage, la responsabilité civile vis à vis d’autrui pendant le processus de construction.
La troisième garantie est la Responsabilité Civile Décennale. Elle responsabilise pendant 10 ans l’architecte, l’ingénieur et l’entrepreneur. n A quoi sert-il de conclure un contrat programme s’il n’y a pas de mesures coercitives? Quel sera le mode opératoire ?
B.B : La loi est en cours de rédaction. On a rédigé le projet de texte avec les Ministères des Finances et de l’Habitat. Nous disposons aujourd’hui d’un projet qui va venir enrichir le Code des assurances, notamment le paragraphe qui concerne les assurances obligatoires.
Ce texte de loi sera partagé avec les principaux intervenants dans l’acte de construire. Nous allons d’ailleurs rencontrer les fédérations professionnelles sectorielles. Une réunion est programmée au cours du mois de mars avec le Ministère de l’Habitat et celui des Finances, ainsi que ces différentes fédérations, précisément pour présenter le texte de loi que nous souhaitons voir mis en place. Dès lors qu’on sera d’accord sur le dispositif, il faudra aller devant le Parlement, pour faire adopter ce texte. Un entrepreneur ne pourra alors avoir l’autorisation de construire que s’il présente une assurance de type Tous Risques Chantier. De la même manière, aucune personne ne pourra prendre possession de son immeuble en l’absence d’une Garantie Décennale. Le texte est bien ficelé, équilibré. A ce stade, nous avons exclu du champ de l’obligation d’assurance tout ce qui est immeuble de moins de trois étages, tout ce qui est inférieur à 4 00 m², et tout ce qui est habitat à usage propre, habitation principale de moins de 800 m². Pour les petits terrains où on construit des R+2, R+3 et où il y a du désordre, on n’est pas encore en présence d’une catégorie d’opérateurs qui construisent dans les règles de l’art. En plus, le coût économique peut être un peu lourd pour ces petites catégories de la population. Ce que nous visons, c’est d’abord l’entrepreneur. n Après les lois, il y a les décrets d’application. Comment tout cela va-t-il être appliqué sur le terrain ?
B.B : La Tous Risques Chantier et la Responsabilité Décennale vont être annexées au Code des assurances. Ce dernier comporte un chapitre «Obligation d’assurances», où toutes les obligations sont inscrites. A l’avenir, toute nouvelle obligation d’assurance sera annexée au Code. Nous avons un projet d’amendements du Code dans son ensemble. Ils seront présentés au Parlement à la prochaine session. Dans notre calendrier, la prochaine étape est précisément le dépôt au Parlement de la révision du Code des assurances. Les 2 nouvelles obligations figurent dans cette révision.
Propos recueillis par Ahmed EL CHEJIRI